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« L’introduction de la pelle », poèmes d’Alain Veinstein (Le Seuil)

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« L’introduction de la pelle- Poèmes 1967-1989″, d’Alain Veinstein (seuil, 2014)

Pourquoi ai-je eu envie de lire ces poèmes? Parce qu’Alain Veinstein est une personne qui a accompagné des dizaines, des centaines – combien? – d’écrivains, pour les aider  à parler de leurs livres, de leur oeuvre.
Il était une fois une émission, « Du jour au lendemain », une belle émission,  à minuit sur France Culture, mais que, honnêtement, je n’ai écoutée qu’en décalé, téléchargée par JM, au creux d’un dimanche-cocon ou sur la route buissonnière en voiture. Mais cette émission n’est plus, en cette rentrée 2014, après des années de présence quotidienne : « Du jour au lendemain sort à la nuit noire à la recherche d’un peu de couleur. Des couleurs qui ressembleraient à des accents de vérité comme quand, dans un moment de disponibilité, on se parle vraiment. Chaque nuit donc, un entretien, souvent avec un écrivain, toujours avec un homme ou une femme de parole. Un entretien, pas une interview… une rencontre plutôt. Car il s’agit toujours de faire connaissance avec quelqu’un. D’écouter une voix. D’approcher l’intensité d’une présence. »

Alain Veinstein

Alain Veinstein, « l’animateur » de ces émissions, écrit, aussi. « L’introduction de la pelle, poèmes  1967-1989″, drôle de titre?! Pas très joli, je trouve, pour des poèmes.
C’est qu’il ne s’agit pas de joli, en effet. Comme un journalier, cet être qui loue sa force de travail jour après jour, le narrateur pousse en terre la pelle. ll la blesse, la pénètre, la fouille, la casse. Au long des pages, inlassablement le poète poursuit son travail, têtu, répétitivement, il oeuvre, et, du tranchant de l’outil, obstinément creuse, fend, retourne, cherche. Quoi? On ne sait précisément. Son histoire, ses souvenirs. L’enfance, un amour, la femme, sa mère. La poésie ne se livre pas si facilement.
Terre. Main. Route. Aveuglement du blanc. Lumière, feu. Blanc, encore,  aveuglement.
Couleurs? Une couleur : rouge. Sang! Une femme aimée – partie, quittée, morte?
Que nous dit Veinstein? Assurément de la souffrance, indicible, en une longue mélopée mystérieuse, lente, belle.
« Dans ce milieu retourné
où je me résous en éclats,
la pelle brille si loin de toute besogne
que je pourrais écrire mon amour. »
En peintre, aussi, il mène la quête, de son pinceau sous lequel naissent les images, et moi lectrice le suis, un peu droguée, sans clé pour comprendre. Mais doit-on comprendre le poète? Rupture, mort? Toute fin est une mort…
Soyons clairs : ce livre ne plaira pas à tous. Mais à celui qui sait apprécier la lenteur, cette lenteur dans laquelle il peut se retrouver lui-même, dans le mystère de nos existences que nous ne désirons pas révéler cliniquement sur la scène publique, car toute vie est ombre et lumière, ce recueil aura un goût de confidence.
« Ou encore, de force, l’int-
troduction de la pelle.
 
Dans mon récit, sous
chaque mot, le bruit de la pelle…
 
Je n’ai peut-être jamais su
écrire que ce bruit – qu’au-
cun récit ne serait venu
interrompre…
Grands coups de pelle, en
aveugle.
Bruit du métal sur la pierre.
Bruit de la terre qui
tombe… »
J’ignore le pays mystérieux dont Alain Veinstein rend compte. C’est la beauté de l’être, aussi, de rester secret. Nous sommes loin de la télé-réalité, des « loft » et autres débilités qui éloignent l’être humain de sa vérité, de sa quête, de sa méditation pour tenter de comprendre soi et les autres, le monde devant nous.
Alain Veinstein, c’est aussi. C’était. Ce n’est plus. Une voix dans la nuit qui échangeait avec des écrivains. Que sommes-nous, ici, sur ce blog? Nous rendons compte de nos lectures, simplement et sans fioritures? Nous essayons, oui.
Alain Veinstein durant près de 30 années s’est entretenu sur France Culture avec des écrivains et des essayistes qui se confiaient, répondant à ses questions essentielles, simples, fondamentales. Il y avait un ton, une intimité. Non pour confier des secrets qui ne regardent personne, mais pour parler avec intelligence, sincérité, de la création, de l’écriture, et l’auditeur en sortait grandi, plus intelligent qu’avant de brancher sa radio.
C’est cet homme-là qui a publié ce recueil et, si je ne comprends pas tout à cette longue, lente mélopée douloureuse, ce n’est pas grave. Il appartient à l’auteur de prendre son temps d’homme dans un monde dénaturé dans lequel je ne me reconnais pas.
Je donne la parole à un homme qui a favorisé tant de moments d’humanité magique, lui le « journalier composant avec une terre désaffectée, pour ne se pas laiser mourir… » :
Le regard d’un enfant
me jette sur ce papier
comme sous une latitude sans terre.
Alain veinstein, du jour sans lendemain…  http://direct-radio.fr/France-culture/podcast/Alain-Veinstein/Du-jour-au-lendemain »,  la dernière émission, le 4 juillet, peut être podcastée, mais aussi des centaines de rencontres avec des hommes et des femmes qui écrivent ces livres que nous lisons, qui nous font vivre, sans jamais, jamais, sacrifier au succès, mais « défendre une parole qui sonnait juste » : consommez, consommez sans modération! L’intelligence est denrée rare.
 
Véronique Poirson

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